Introduction du traité Betsa
Le Chabat et les fêtes constituent des moments privilégiés. Le mot que nous traduisons habituellement par fête (moëd) signifie, à l'origine, « rendez-vous ». La fête est un rendez-vous avec Dieu. C'est le même mot qui figure dans l'expression « tente d'assignation » : Dieu donne rendez-vous à un Moché. Cette rencontre est source de joie, et cette joie est un commandement positif de la Torah : « tu te réjouira pendant ta fête » (Deutéronome 16,14).
Or la joie ne peut surgir subitement de l'activité quotidienne ; on ne se présente pas devant un roi en vêtements de travail ; il y faut une préparation.
La Torah ne rejette pas comme méprisables les désirs du corps : ce corps, c'est l'oeuvre de Dieu, il est éminemment respectable. La subtile articulation entre le corps et l'esprit, c'est ce qui fait l'objet, pour qui sait lire, de cette Mishna Betsa : la joie spirituelle de la fête, viendra de la satisfaction, au-delà du nécessaire, des besoins du corps.
La « joie » dont parle le verset cité plus haut, c'est la joie de l'offrande des sacrifices volontaires (qui viennent s'ajouter, en ce moment particulier, aux sacrifices régulièrement offerts, faisant de ce jour un jour différent par la place laissée à la spontanéité).
Ces sacrifices volontaires étaient mangés. Le temple est détruit, il n'y a plus d'autel, il n'y a plus de sacrifices ; il me reste de cela le plaisir de la table ; à nous de savoir le transcender.
Notre table est l'image de l’autel du temple, présentons à cette table dans le même esprit de pureté qui était naturellement demandé aux habitants de Jérusalem, dans le même état de préparation aussi.
Sous la formulation légaliste, technique, exprimé en discussion sur les gestes permis et les gestes interdits, les limites au-delà desquelles on n’a pas le droit de « porter », les gestes qu'on peut faire pour la préparation de la cuisine et ceux qui sont prohibés, ce qui est visé, c'est la préparation même de la fête, et la conception qu'en avaient les grands maîtres de la Mishna.
Leurs divergences attestent que ce qui les sépare, ce n'est pas seulement le mode d'application des commandements divins (ce qui est déjà en soi le capital, du fait que ce sont des commandements divins), mais aussi leur interprétation. Ainsi, des discussions du début du premier chapitre, où nous voyons, contrairement à son habitude, Beth Hillel plus sévère que Beth Chamaï, ainsi également des interdictions édictées par les sages, venant limiter même l’accomplissement de commandement de la Torah (chapitre cinq).
Ce sont là des conditions négatives. Il en est aussi de positives, comme l'institution du Erouv Tavchilin : la joie du shabbat exige une préparation ; la joie du jour de fête exige une préparation ; les deux joies doivent être distinctes, les deux réparations doivent l’être également. A la lecture de notre Mishna apparaît la hiérarchie des valeurs. Si Beth Chamaï et Beth Hillel s’accordent à penser qu'on ne peut pas purifier des objets le jour de fête, ils diffèrent sur la purification des personnes : pour être pur le jour de la fête, Beth Hillel n'hésite pas à permettre -- parce que c'est un plaisir -- un bain de purification même le jour de shabbat.
La rigueur morale mais ne peut se tirer de cet enseignement de pont entre le scrupule d'un rabbin marchand d'huile (chapitre trois, Mishna quatre), qui ne veut pas frustrer ses acheteurs, fut-ce d'une goutte d'huile qui pourrait coller à ses récipients, donnera le ton à la conduite qu'on ne devra tenir chaque jour de la semaine.
La joie de la fête se trouve ainsi la résultante d'une préparation de tous les jours dans la vie la plus quotidienne ; elle ne peut jaillir brusquement, inopinément ; elle exige que le terrain soit préparé ; elle éclos plus vite qu'elle ne jaillit ; la vie de tous les instants la prépare, et elle donne à la vie tous les jours toute sa valeur.